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Le lunetier

Le lunetier

Je suis né dans un village pas très loin d’ici.

Je me souviens de mon père, il travaillait dans les mines. Pas grand chose à voir avec vos mines, si ce n’est qu’on retrouve le principe de galeries. 

Nous nous glissons dans les interstices de la terre via des entrées naturelles. 

Nous ne prenons que ce dont nous avons besoin. Nous n’extrayons que ce qui peut être extrait sans risque.

Celui que vous appelez aujourd’hui Sire Rocaille n’était pas encore le Sage que nous connaissons, il était alors plus jeune et avait pris mon père sous son aile pour lui faire découvrir le travail dans les galeries. Ils étaient bons amis, travaillaient souvent ensemble.

Le risque que prennent la plupart des invisibles en travaillant dans les mines est de ne plus être capable de voir en pleine lumière. Nous n’utilisons pas de torche ou de feu. Avec le temps passé dans les galeries, notre vue s’habitue au noir et nos autres sens s’aiguisent. Plus nous y restons, plus nous y voyons et plus nous prenons le risque de ne plus être capable de voir une fois revenus à la surface.

Mon enfance se déroula normalement, je notais les allées et venues de mon père. Il revenait souvent fatigué mais heureux d’avoir passé ces journées avec ses compagnons de travail et tout aussi heureux de rentrer chez lui et de nous retrouver. Même si c’était un dur labeur, il savait qu’il œuvrait pour le bien de la communauté. 

Ma mère quant à elle, au delà de partager l’entretien de notre habitat avec mon père, confectionnait des outils pour faciliter le travail d’extraction des pierres pour mon père. Elle avait cette passion pour la recherche et la création d’objets, c’est d’ailleurs ce qui les avaient réunis. J’adorais la regarder travailler. Son regard plus particulièrement, ce moment de concentration où notre âme se détache de notre corps, où nous ne faisons plus qu’un avec l’acte, une symbiose parfaite. 

Je me mis rapidement à confectionner moi aussi mes propres objets, ma mère m’avait transmis sa passion et je me délectais de ses conseils et des heures passées à la regarder pratiquer.

Mes premiers objets fabriqués furent des outils pour faciliter le jardinage, une canne trouée permettant de semer une graine tout en creusant la terre. Un petit récipient creux sculpté en argile qui, une fois rempli d’eau et enfoui à la surface de la terre, permettait aux plantes d’être irriguées plus longtemps lors de longues périodes de sécheresse.

Le temps s’écoula paisiblement jusqu’au jour où mon père, accompagné de Sire Rocaille et d’autres invisibles, découvrirent une immense grotte en explorant les galeries. Ils se rendirent comptent de la fragilité du plafond de cette cavité et notèrent qu’avec l’effondrement possible, une partie du village risquait aussi d’être avalée. 

Les travailleurs de la mine se réunirent pour discuter de la situation. L’éventualité de demander aux invisibles du village de partir vivre ailleurs n’était pas envisageable. Au delà du temps que cela prendrait, le sol pouvait s’effondrer à tout moment. La solution était donc simple, il fallait consolider le plafond de la cavité par le biais de colonnes. L’opération n’était pas difficile en soit, il ne suffisait que de deux invisibles, mais il fallait surtout se dépêcher vu l’urgence de la situation. Et cela supposait que ceux qui accepteraient la mission, allaient devoir rester quelques jours dans la grotte, privés de la lumière du jour. Il y avait de grande chance pour qu’ils ne soient plus capable de voir en remontant. Certains proposèrent d’augmenter le nombre d’invisibles pour la mission mais c’était prendre le risque de provoquer l’effondrement, il fallait être le moins nombreux possible.

Sans hésitation, mon père et Sire Rocaille se proposèrent pour la mission, ils avaient l’avantage de l’expérience étant dans ce métier depuis longtemps. De ce fait ils étaient les plus à même de réaliser la mission dans un délai des plus brefs.

Ils se mirent au travail le soir même. La hauteur entre sol et plafond de la cavité n’était pas si importante. Ils leur suffisaient de réaliser quatre colonnes aux points les plus fragiles du plafond en empilant quelques roches et de les colmater entre elles avec la terre humide de la cavité pour assurer un bon maintien.

Ils étaient sur le point de finir lorsqu’un bruit sourd se fit entendre. Nos deux compères remarquèrent que le peu de luminosité qui éclairait cette caverne s’était soudainement éteinte. Même si leur vue s’était habituée à la pénombre, le noir quasi complet leur faisait l’effet de voir au travers d’un épais nuage. 

Sire Rocaille se rapprocha tant bien que mal du bruit qu’il avait entendu et s’aperçut qu’une partie du couloir était, à présent, bouchée par quelques pierres qui s’étaient effondrées d’on ne sait où.

Mon père se rapprocha de son ami, et, à deux, ils entamèrent le déblayage du couloir lorsque Sire Rocaille senti quelque chose de visqueux et froid lui agripper la cheville.

Il n’eut même pas le temps d’essayer de se détacher, qu’il se retrouva traîné à terre, mon père eut le réflexe de lui attraper le bras. La chose desserra son étreinte, un souffle se fit entendre et nos deux invisibles sentirent un fin liquide, presque vaporeux, se poser sur leurs visages. Ils sentirent une forte chaleur se dégager du liquide. Cela brûlait sans réellement brûler. Ils se sentirent soudainement apaisés, leur corps ne répondait plus. Un grondement de plus en plus proche se fit entendre alors qu’ils sombraient doucement dans un long sommeil.

Ils n’avaient aucune idée du temps qui s’était écoulé lorsqu’ils reprirent conscience.  

Plus de grondement, mais un bruit sourd à intervalles constantes persistait. Lorsqu’ils furent en état de se lever une lumière provenant de l’éboulement vint les aveugler. Ils entendirent des voix, celles de leurs camarades qui, inquiets de leur santé, étaient venus les chercher. 

 » Gardez les yeux fermés! entendirent-ils. “

Des bras vinrent soulever mon père et Sire Rocaille encore engourdis, l’air absent. Ce n’est qu’une fois remontés à la surface qu’ils comprirent la situation.

 » Cela fait quatre jours que vous êtes dans cette caverne! Surtout n’ouvrez pas les yeux, laissez leur le temps de s’acclimater à la lumière et reposez-vous. »

Mon père fut transporté à notre maison, alité. Au bout de quelques jours, il fut en état de parler et me raconta ce qu’il avait vécu dans la caverne. Il commença doucement à retrouver un semblant de vue , mais tout était encore très flou. Les jours passèrent sans que mon père retrouve une meilleure vue. Cela, finalement, ne le dérangeait pas plus que ça. Il retrouvait doucement ces marques dans notre maison même s’il semblait encore affaibli.

Je me souvins alors d’une chose, lors d’une expédition dans cette fameuse caverne qui l’avait mis dans cet état, mon père m’avait rapporté une roche étrange, complètement transparente, je ne m’en étais pas encore servie. J’eus alors l’idée de travailler cette pierre, d’en extraire une fine lamelle. En la mettant devant mes yeux, je me rendis compte que ma vision en était, étrangement, améliorée. Je finis par les fixer sur un support pouvant se cerner au niveau du front, permettant ainsi aux deux lamelles de tenir.

Je ne pus attendre le lendemain. Mon père sursauta en m’entendant surgir dans sa chambre. 

 » Que se passe t’il? 

– j’ai… désolé de te réveiller… j’ai fabriqué quelque chose, je pense que ça pourrait t’aider.

– Tu ne me déranges pas fils, montre moi, dit mon père en me souriant.

– Mets le devant tes yeux, dis-je en lui tendant l’objet.

  C’est…impressionnant…Je ne sais comment te remercier… dit il en écarquillant les yeux.

– Pas sûr que tu retrouves une vue parfaite mais je pense que cela pourrait t’aider.

– Merci mon fils, c’est magnifique dit-il en regardant l’objet sous tous les angles. Tu tiens là quelque chose, dit il dans un souffle en fermant ses yeux. »

Je compris que mon père avait besoin de se reposer. Plein d’entrain, je retournais dans ma chambre, il me fallait un nom pour ma fabrication. Je décidai alors d’appeler cela « des transparens » un des anciens du village prononçait « transparent » ainsi. Je me remis alors au travail, pensant à Sire Rocaille qui devait souffrir des mêmes maux que mon père. En reprenant mes outils, je me rendis compte que j’avais utilisé la totalité de la pierre pour ma fabrication et je n’avais hélas pas d’autres pierres comme celle-ci.  

La nuit était déjà bien entamée, je ne sais pas si la fatigue endiguait ma réflexion ou si au contraire elle me donnait un sursaut de courage mais je saisis cette occasion pour partir à la recherche d’une nouvelle pierre pour fabriquer de nouveau transparens. 

Sans faire de bruit, je sortis de la maison. La lune était à son zenith et éclairait parfaitement l’entrée de la caverne dont j’entrepris la descente. Il ne me fallut que peu de temps pour me retrouver face à cette étincelle qui reflétait la lueur de notre astre. Je m’approchais et sortis la pierre brillante de terre. J’étais heureux de ma trouvaille et surtout du peu de temps qu’il m’avait fallu pour trouver cette pierre. J’entendis alors un long sifflement… « Le vent, me dis-je comme pour me rassurer, certainement le vent qui s’engouffre dans les interstices de cette grotte. » Puis lorsque mes yeux se furent habitués à la lumière, je la vis. Plus noir que la nuit, d’un noir qui vous happe. Deux étincelles, semblables à celle de la pierre que je venais de récupérer, me dévisagèrent. La créature que mon père avait rencontrée se tenait devant moi.

je restais là, tétanisé. Elle continuait de me regarder, sans bouger. Mais à cet instant, une part de moi voulut se venger. Après tout, c’était bien à cause de cette créature que mon père était dans cet état. Esquissant un mouvement de recul pour tenter de récupérer une roche pour me défendre, je n’eus, hélas, le temps de faire quoi que ce soit qu’un de ses bras se dirigea à toute vitesse vers moi pour se resserrer sur mon poignet. Je n’avais pas assez de force, plus je me débattais plus elle me ramenait à elle. 

Je vis alors une main se posait sur le bras tentaculaire de la créature. En me retournant j’aperçus mon père, il avait une expression que je ne lui connaissais pas. Des yeux écarquillés qui semblaient luire dans le noir. Étrangement, l’étreinte de la créature se fit plus légère, jusqu’à totalement relâcher son emprise. 

Mon père lui aussi relâcha le bras de la créature, qui siffla avant de soudainement disparaître dans le fond de la caverne.

« Elle ne nous veut pas de mal, me dit-il calmement. La lueur avait disparu de ses yeux, je retrouvais le regard paisible de mon père.

– Mais, mais c’est elle qui t’a attaqué ! Dis-je, tentant tant bien que mal de contenir ma colère. Elle recommencera certainement, et cela pourrait s’empirer !

– Rien ne le prouve! Sire Rocaille venait d’apparaître à l’entrée de la grotte, il avait l’air en forme malgré le visage fort marqué par la fatigue. Elle souhaitait juste communiquer avec nous.

– Comment pouvez-vous en être aussi sûr ?

– Par ce qu’elle nous l’a dit. Mon père affichait un air d’incompréhension tout en disant ces mots.

– Je ne sais comment l’expliquer, renchérit Sire Rocaille, mais en effet, depuis que cette créature nous a aspergé de cet étrange liquide, nous sommes en mesure de la comprendre. C’était très laborieux et flou au début mais ce soir nous avons pu réellement communiquer avec elle.

– Elle avait peur de toi, fils, reprit mon père, je l’avais senti en arrivant derrière toi et j’ai pu lui faire comprendre que tu ne lui voulais aucun mal. Ainsi elle a relâché son emprise et est repartie. Je comprends ton instinct de vengeance mais cela n’aurait, dans tous les cas, mené à rien de bon. 

– Nous devons apprendre à la connaitre et à la respecter, dit Sire Rocaille en posant sa main sur mon épaule. Après tout, nous nous sommes clairement

introduit dans son habitat sans son accord et malgré cela elle a tout de même voulu entrer en contact avec nous. J’ignore encore pourquoi… 

– Nous devons la laisser tranquille… les mots sortirent de ma bouche mais je n’étais pas sûr qu’il venait de moi.

– Tu as raison à mon fils. Laissons là décider du moment où elle voudra de nouveau communiquer avec nous. »

Sur le chemin du retour, personne ne parlait, juste le vent du soir qui jouait dans l’herbe. 

Les jours se suivirent et la vie du village repris son parcours classique et rassurant. L’information de ne pas entrer dans la caverne fut donner à tous les membres du village et aucun incident ne survint durant un long moment. 

Je continuais de travailler la roche que j’avais récupérer dans la grotte, ainsi Sire Rocaille fut à la fois heureux de retrouver une meilleure vue et très curieux de cet objet qui lui permettait de mieux voir.

La nouvelle se répandit et rapidement d’autres invisibles avec quelques troubles visuels vinrent me solliciter. Un invisible ayant côtoyé les géants (les visibles) de prés m’affubla même du nom de « Lunetier » en référence à ce que certains d’entre eux portaient qui ressemblaient étrangement à mes transparens.

J’affinais mon travail de tel sorte qu’il ne me fallait plus que quelques morceaux de la roche pour achever ma réalisation.

Mais un jour, la pierre me manqua…

N’hésitez pas à me dire ce que vous avez pensé de cette petite histoire! 😉

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